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Les Inséparables.

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Je ne voulais pas manquer l’express de nuit qui me mènerait jusqu’à la prochaine étape, celle de mon périple journalier. Dès lors, je creusai dans ma mémoire, afin d’y puiser quelques souvenirs. Oh, ce n’est pas ce qu’il me faisait défaut, les souvenirs, ces petites parcelles de notre vie passée, qui surgissent quand on les appelle, ou resurgissent quand on ne le souhaite pas. Mais pour l’heure, je prenais plaisir à me remémorer quelques bribes de mon existence dépassée, même si plus prolixe que jamais.

Je me souvenais alors du temps où Noël avait encore son sens originel, ce temps où le Père Noël était encore parmi nous. Nous étions soudé comme le plus précieux des métaux. Nous, c’étaient Maman, Mamie, et Mané, la mère de Mamie, qui était la mère de Maman. Cette époque bénie où mon arrière grand-mère, surnommée de tout le monde, Mané, m’appelait son « bâton de vieillesse ». Je comprenais du haut de mon tout jeune âge, ce qu’Elle entendait, en me nommant ainsi. Cela voulait dire, « J’espère que tu prendras soin de Mamie quand elle sera vieille. » Les vieux jours de ma grand-mère lui posaient problème. Les perruches, "les Inséparables", voilà comme on aurait dû nous appeler ! Il n’y avait aucun soucis à se faire en ce qui me concerne, je serai toujours présente pour ma grand-mère, je le lui répétais sans cesse. Sa fille chérie, celle qui vécut avec Elle jusqu’à son dernier soupir. Coup fatal à l’encontre de Mamie. Début du commencement de la fin…de Celle qui est partie, de Celle qui est toujours là, de Celle qui n’a jamais été autant présente, de celle qui sacrifia sa vie pour m’élever, et de Celle que je fis souffrir par mes monstruosités d’une adolescence mal digérée. Tout a une raison, rien n’est gratuit…Je poursuis, de Celle dont je rêve chaque nuit depuis peu, de Celle qui vit en moi pour l’éternité. Le lien qui nous relie est aussi invisible que ce qu’il est indéfectible, presque palpable.

histoire,inséparables,générations,amour,deuil Sylvain Lagarde

Je dois dire que durant ses dernières années, je fis tout afin qu’il en soit ainsi. Pendant ces longues années de maladie, « la maladie de l’oubli », je prenais, dès que j’en avais l’occasion, ses mains entre les miennes et je fermais les yeux. Puisqu’Elle ne me reconnaissait plus, (j’en doute encore), je n’éprouvais aucun intérêt à regarder ce corps inerte, ce n’était plus qu’une enveloppe charnelle dont l’esprit s’était dérobé. Je restais alors à ses côtés durant de longs moments, essayant de rentrer en contact spirituellement. Je ressentais alors son fluide,  passer dans tout mon être, et les yeux clos, j’implorais Dieu, (concentration extrême exigée),  d’une éventuelle communion entre toutes les deux. Nous, si proches durant tellement d’années ! Je gardais cela pour moi, car je savais que personne n’y aurait prêté attention. Silence, jardin aussi sacré que secret. Son esprit résonne dans ma mémoire en « ruine », par trop de drogues illicitement absorbées. Mais la mémoire est sélective, elle occulte les pires moments. Puis, ce n’était pas moi, non, on m’avait volé, qui ? Le diable bien-sûr ! La décadence dans laquelle je fus plongée durant plus de quinze années, m’avait pris dans un thriller comme actrice principale, et je jouais mon rôle avec intégrité, rien ne manquait au désastre : Vertige des sens, sens unique, sans issue, sans foi ni loi, sans dessus ni dessous, mais pas sans retour. La preuve ? Je suis plus lucide que je ne l’ai jamais été, plus lucide que la terre entière réunie; aurais-je été ainsi à cette heure de ma vie si j’avais échappé à tous ces démons ? Nietzsche a dit : « Ce qui ne tue pas rend plus fort », et il a toujours raison Nietzsche, même lorsqu’il déraisonne !

Pour l’instant, je me revois, assise à côté du lit de Mamie, plus combative que jamais, ne laissant rien percevoir de ma peine. Je la fixais parfois de manière on ne peut plus profonde, afin de tenter de pénétrer son âme, pour qu’Elle m’entendit. Je l’implorais de m’écouter, il fallait qu’Elle sache combien je l’aimais, et souvent je lui demandais de m’emmener avec Elle, le jour du grand départ.

Comment oublier ces instants-là? Avant que la dégradation ne l’éteigne complètement. Ces instants sont plus précieux que tous les diamants bleus du monde. Souvent je pense à Mané, qui me donnait aussi le doux sobriquet de « rayon de soleil », car à cette époque, il n’existait pas de petite fille plus gentille ! Voilà, je me consume devant ma feuille, mais comment résister ? Ce ne sont qu’après tout des larmes d’eau bénite,  celles qui viennent des cieux, celle que j’ai volé à la pluie, celles que Mamie me permet de verser, des larmes de l’Amour des Miennes. Ces écrits sont ma façon de porter le deuil, alors il n’y a rien de triste, croyez-moi, bien au contraire, car je sais, je sens qu’Elle est heureuse, enfin, auprès de sa Maman. La maladie d’Alzheimer détruit les cellules cérébrales, et aussi les gens qui entourent les personnes atteintes. Si je disais que je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui, je ne suis plus dans l’expectative de la délivrance, de l’entre-deux vies de la personne que j’affectionne le plus, mon papa mis à part. Il n’est rien de pire ; je détestais cette indescriptible sensation d’attente forcée, qui vous fait sursauter à chaque coup de fils.

Maintenant c’est fini, définitif, partie, pas à moitié morte, morte véritablement ... Point, finalité, vie terminée, au-delà certifié, existence de la non-existence, comment expliquer sa présence ? Je sais, parce que je suis là, entrain de vous parler d’Elle. Mamie, la sacrifiée, qui voit tout depuis le Paradis, le seul et unique lieu où Dieu put l’accueillir. Avant que l’on rentre son cercueil sous terre, je fis office de « curé », en récitant quelques vers de bénédiction, écrits durant le trajet pour me rendre… là où l’on ira tous… Sourire.

Ma couronne de fleurs en forme de cœur jamais ne fanera, pas plus que les souvenirs de cette Dame là, pas plus que cette Dame tout court. Sourire. Assurément.

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